dimanche 8 avril 2018

Ceija Stojka à la Maison Rouge.

C'est un jeudi après-midi pluvieux. Il est 14h40 et aujourd'hui c'est décidé je m'enfuis du collège.
- " Bah dis donc Georgette ! tu rentres déjà ? tu restes pas pour le conseil péda ?
- Bah non tu vois je suis une feignasse qui sort à la fin de sa dernière heure de cours comme tous profs qui se respectent. D'ailleurs moi je te demande des comptes sur ton p**** d'emploi du temps d'agrégé !!!"
Bien évidemment je n'ai pas répondu ça. ça ressemblait plutôt à 
" à demain ! bonne soirée je vais me faire une expo " .... dont on m'a parlé comme toute petite bobo gauchiste prof et privilégiée par son statut de fonctionnaire très souvent gréviste 
( qui plus est provinciale bouh les parisiens disent que nous sommes les pires ! ) Bref en allant à la Maison Rouge je ne savais pas à quoi m'attendre juste que ça risquait de me retourner les tripes. J' ai eu la chance de me greffer à une visite guidée par l'exceptionnelle médiatrice que je tiens à remercier Elora Weil-Engerer. Elle a sublimé cette exposition hors du commun.

Fait remarquable, parmi les visiteurs il n'y avait  que des femmes. Le vigile en riant  me dit  : " C'est vrai vous avez raison  il n' y a  presque que des femmes qui viennent admirer le travail de Ceija( prononcez Chaya ). Et puis c'est surtout à cause de la deuxième expo sur les poupées ! "

Le cadre est posé. Un historique sur les racines roms des roms et des tziganes nous accueillent. On en a tous bien besoin de s'intéresser à eux enfin, à leur histoire, leur culture, leur manière de vivre.
Les peintures de style naïf de Ceija Stojka sont époustouflantes de réalisme et de cruauté. 

 Cette combattante née à Vienne en 1933 fut déportée à 10 ans avec toute sa famille. Loin des livres d'histoire, le destin de ce génocide oublié : celui des roms et des tziganes. Ce traumatisme de la déportation, Ceija en est ressortie miraculeusement vivante non pas une ni deux mais trois fois. Regardez bien le symbole nazi dans les veine de la cornée de cet oeil ( de Moscou ?) ou encore ce tatouage ignoble Z comme Zigeuner, tzigane en allemand que Ceija porte sur le bras gauche. Sans parler des corbeaux grouillant dans le ciel tel des insectes  qui sont les seuls êtres vivants venant  contrecarrer la pureté de ce ciel bleu.

En 1945, 90 % de la population rom a été exterminée. Le statut de génocide fut reconnu très tard 
( trop tard ) car pendant un demi siècle, on considérait encore les roms comme des criminels et non pas comme des êtres humains.

Ce n'est qu' à l'âge de 55 ans, que Ceija sort du silence. Tel un jet d'immondices qui débordent d'une poubelle, elle peint, dessine, écrit. De gros aplats de couleurs vives, des paillettes, des perles et du sable multicolore viennent accrocher notre regard.  Des roulottes ?  oui mais là encore. Prenons de la distance avec nos préjugés. Comme l' explique notre guide, il y a très peu de roms itinérants. Ceija fait exception car sa famille vendait des chevaux. Ils étaient donc au 3/4 de l' année sur les routes.
Les cieux dépeints par l'artiste sont toujours lumineux, envoutants. Ils viennent se frotter aux motifs parfois naïfs, quasi enfantins des souvenirs traumatiques de l'artiste. J'apprends ainsi que dans la culture rom, on ne parle pas des morts ni des deuils. Le silence est d'or, on ne se recueille pas sur les tombes mais le recueillement se fait par les chants et le port de couleurs vives. Ce qui pourrait expliquer que le témoignage de Ceija ait agi comme une véritable bombe à retardement. Elle qui s'est réchauffée sous des cadavres en putréfaction, certaines de ces œuvres font encore aujourd'hui polémiques. Ce petit train sorti de son imaginaire semble constituer l'illustration un conte de fée malgré la bannière nazie. Ceija a 10 ans lorsqu'elle est déportée pour la première fois et l' on pense aujourd'hui que c'est de manière totalement volontaire qu'elle a adopté ce style onirique qui multiplie par 100 le sentiment de malaise lorsque l'on se tient face à la toile.

Regardez ces tournesols. Van-Gogh peut aller se rhabiller. !
Les dessins en noir et blanc sont à couper le souffle et se passent de commentaires. à vous de juger


regardez bien la brindille : ode à la vie
 à la fin de l'exposition, un petit autel  avec une vierge est présent. Moi qui suis plutôt athée j'ai ressenti une forte émotion à la vue de ce symbole.

 Ce n'est pas un cliché, les populations roms sont extrêmement croyantes. Si Ceija a survécu c'est grâce à deux choses selon elle : 
- sa foi en la vierge 
- la sève du petit bout de bois ( récupéré en cachette ) qu'elle a avalée. 
Cette petite brindille de rien du tout lui a sauvé la vie en l'empêchant de mourir de faim. Regardez bien en bas à droite de chaque tableau , on retrouve cette brindille qui souligne délicatement sa signature. Ceija peignait à mains nues, sur la table de sa cuisine. 
Elle qui n' avait jamais mis un pied dans un musée, elle a toute sa place à la Maison Rouge et on l'espère pour elle au Paradis Blanc auquel elle a tant cru. 
Vous avez jusqu'au 20 mai pour vous faire votre propre opinion.