lundi 26 mars 2018

Hommage aux femme japonaises

Vous partez bientôt au Japon ou vous rêvez de le faire ? Qu'importe. Courez chez votre libraire pour vous procurer cette pépite écrite par Julie Otsuka, Certaines n'avaient jamais vu la mer, publiée chez 10/18.
Un roman incisif quasi incantatoire d'une beauté profonde et écrit d'une plume de velours avec une pointe en acier trempé ! 

Julie  Otsuka nous raconte le calvaire traversé par les émigrées nippones au XXème siècle, dans l'entre-deux-guerres, qui vinrent s'installer en Californie. Ces héroïnes anonymes embarquent dans les cales d'immenses navires avec au tour du cou, un médaillon qui renferme la photographie de leurs futurs maris, des compatriotes déjà installés aux États-Unis. La transaction se décide via une marieuse .  Ces jeunes femmes sont fières d'avoir accompli leur devoir en échange d'une somme d'argent que l'on peut  imaginer assez modeste.
Le premier chapitre s'ouvre sur un guide de bienvenue " Bienvenue mesdemoiselles japonaises". Une tension est palpable : toutes sont vierges et aucune n'a vécu loin de sa famille, certaines combattent la fièvre, d'autres délirent enivrées par leurs propres odeurs d'excréments.
 Pourtant elles tiennent bon. Elles ont envie de croire à une vie meilleure. Les conseils des mères raisonnent dans chaque tête " sois présente mais ne te fais pas remarquer", 
" obéis à ton mari", "les femmes sont faibles mais les mères sont fortes". Chacune des futures mariées a soigneusement plié dans son sac de toile: un kimono de soie blanche pour le jour des noces, des bâtons de calligraphie et un petit bouddha pour vénérer les dieux. Pour tromper la peur et l'ennui des 4 quatre semaines de traversée, Otsuka se fait l'écho des questions qui assaillent les jeunes filles.
Il paraît que les américains rentrent avec leurs chaussures ? 
Il paraît que les jonquilles tapissent le fond des jardins ? 
Mon mari est banquier ! Nous allons avoir une piscine ! 

Dans les chapitres suivants c'est littéralement la descente aux enfers. La première nuit sera synonyme de violence sexuelle " mon vagin a failli éclater". 
La plume d'Otsuka oscille entre la délicatesse des mœurs et coutumes de ces jeunes femmes naïves pour la plupart et l' horreur et la cruauté des hommes blancs et de leurs maris, eux mêmes devenus esclaves de cette ( soit-disant ) terre d'accueil.  
Le récit est  très court.  Otsuka réussit à trouver le juste mot pour décrire la famine, l'esclavage, les viols quotidiens des maris, le travail harassant dans les champs, l' exploitation agricole et sexuelle, la misère des enfants nés dans les champs que l' on nourrit difficilement entre deux récoltes. 
C'est la première fois que je lis un roman écrit à la première personne du pluriel. Ce Nous, ce sont ces femmes  à la fois fragiles, trompées mais en même temps ce  Nous est à la fois puissant et organique, tel le roseau qui ploie mais qui ne cède pas.
Le destin de ces milliers de femmes n'apparaît nul part dans les livres d'histoire. Ces femmes ont subi une double peine : la dictature de l'homme blanc américain qui exploitait leurs maris ( et donc elles aussi ) mais aussi le patriarcat qui régnait en maître dans les familles constituées par ces mariages forcés. Une organisation patriarcale que l' on retrouvait bien évidemment dans de nombreux pays européens
En voici une claire description :
Les femmes mangent après les hommes,  n'ont pas le droit de se coucher avant leurs maris et n'ont pas le droit de dormir dans leurs lits. Alors oui les sushis, rue st Anne, les fleurs de cerisier et les kimonos c'est super chouette mais connaître la sombre histoire qu'un pays a traversée, surtout lorsqu' elle est oubliée c'est encore mieux. Ces femmes ont aussi subi le regard souvent gêné de leurs propres enfants : " maman ! arrête de t'incliner ! " " maman, j' en ai marre de manger du riz et du miso : je préfère du ketchup et des pâtes". Comment alors trouver un sens à sa vie lorsque le pays qui aurait dû nous accueillir bafoue une culture ancestrale, celle du thé, du pliage et de la calligraphie ?



Lorsque le Japon déclara la guerre aux États-Unis, les immigrés japonais furent internés dans des camps. Nous ne savons pas ce que sont devenues ces familles. Mais le dernier chapitre est écrit du point de vue  des américains qui ont vécu avec eux. Les voisins, les amis, et même les camardes de classes. Ils se questionnent, s'inquiètent au début puis commencent à s'en vouloir. Peu à peu les souvenirs disparaissent et bientôt il n'y a déjà plus aucune traces de ces japonais en Californie. 
Comment s' appelaient - ils déjà ? .....

mardi 20 mars 2018

Des littératures pour voyager

Aujourd'hui, je vous présente deux romans coup de cœur que j' ai littérairement dévorés.

Le premier m' a été offert par une lectrice aguerrie que je remercie encore une fois vivement pour ce présent.
Il s' agit du chant des pistes de Bruce Chatwin, édité d'abord chez Grasset  en 2013  dans la collection Les carnets rouges, mais que vous trouverez également en poche ( un gros pavé tout de même).

Chatwin est cet écrivain voyageur, humble et poétique qui nous transporte en Australie. Il va suivre pendant quelques mois des sentiers poussiéreux et sinueux à la recherche du " chant des pistes" ou "songline". Ce serait selon la tradition aborigène le chemin de la terre, l'essence même du cosmos dans lequel l'humanité toute entière prend racine. Chatwin sépare son ouvrage en deux parties. 

Dans la première, notre aventurier anglais part à la rencontre des aborigènes et des habitants de lieux souvent tombés volontairement dans l' oubli. Une bière fraîche, un rocking-chair, un premier contact et Twain engage la conversation. Curieux mais jamais intéressé, il n' essaie pas d'imposer son point de vue européen ou ses coutumes occidentales car il a honte. Honte des violences coloniales et des massacres perpétrés par les anglais.  C'est donc un formidable ode à la vie, à la magie des légendes aborigènes et au voyage tant mystique que physique que nous livre ici Chatwin. 
La seconde partie se présente sous forme de petites anecdotes, de compilations philosophiques issues de ses anciens carnets de voyage . J'ai particulièrement apprécié les annotations de Chatwin sur sa condition d'homme blanc, élevé dans la tradition chrétienne qui se retrouve confronté à une autre manière de voir le ciel, le monde, les étoiles. Un très bel ouvrage à offrir de toute urgence aux amoureux du pays des kangourous, du kiwi et de la littérature de voyage.


Le second ouvrage qui m'a fait voyager est un polar recommandé par une amie qui publie sur  la page facebook Des livres Rances que je vous recommande chaudement en cliquant ici pour leur souhaiter une longue vie.
Il s'agit d'un  bon polar de Wiliam G. Tapply : dérive sanglante édité en 2007 chez Gallmeister. Ce prof de littérature, passionné de pêche, nous embarque dans le Maine, la région extrême nord-est des états-Unis.
On y respire l'odeur des plaines, on entend le clapotis des truites sauvages, on en vient même à sentir les aiguilles de pins frotter sous nos semelles de randonnée. Le lecteur fait très vite la connaissance de Stoney Calhoun, un être solitaire qui vit en ermite avec son cabot dans une petite cabane en bois. Sa passion vous l' aurez deviné :  la pêche, c'est pourquoi il réussit à se faire embaucher par Kate ( mon personnage préféré, une amazone ! ) jeune femme au caractère bien trempé qui tente de faire marcher son petit commerce dans le monde impitoyablement masculin qu'est celui de la pêche. Le passé douloureux de Calhoun se dévoile au fil des pages. C'est un amoureux des choses simples et des soirées à lire une énorme anthologie de la littérature américaine. Calhoun est amnésique suite à un grave accident dont il ne conserve aucun souvenir. Il souffre de certaines séquelles, notamment d'hallucinations visuelles plus que dérangeantes... Tout va basculer lorsque Lyle, son collègue et unique ami un peu hippie sur les bords se fait  assassiner... Je n'en dit pas plus mais ce qui est sûr c'est que vous aurez sans doute envie de découvrir la suite. L'auteur distille au compte-goutte mais avec ingéniosité des indices croustillants qui donne envie de suivre Calhoun dans ses prochaines aventures. Pour l' ambiance feutrée et la qualité des descriptions des paysages, je hisse dérive sanglante quasiment au même rang que  l'île des chasseurs d'oiseaux de Peter May

Bonne lecture sous la neige ! 







lundi 5 mars 2018

faiminisme : à corps et à ( le ) cri

Aujourd'hui deux chroniques qui n'ont en commun que le lieu de leur acquisition ! 

Juste avant une répé je m' arrête dans cette super librairie La Manœuvre pour acheter un polar dont j' ai beaucoup entendu parlé : Le cri.
Je sais que cette librairie a un rayon sur le genre / la sociologie et le féminisme assez bien achalandé.
Je craque et dépense 14 € supplémentaire au budget initialement prévu pour lire : 
Faiminisme: quand le sexisme passe à table de Nora Bouazzouni.
La couverture bien sûr me saute aux yeux mais l'auteure reste pour moi inconnue au bataillon. Je demande à la libraire : " Vous l'avez-lu ?". Elle me répond " non, mais c'est mon dernier je vais devoir le recommander.". Bon c'est parti. L'ouvrage est tout d'abord facile à lire mais un peu trop concis et surtout truffé de références indiquées par des petites *. Je ne dévoilerai pas le nom de tous les chapitres mais celui du chapitre 3 est réussi : "Patriarchie parmentier".
Il y a plusieurs idées que j' ai relevées tout au long de ma lecture qui m'ont interpellée. Des idées auxquelles j'avais plus ou moins songé mais sans pour autant me les expliquer. La lecture de cet ouvrage m'a permis une véritable prise de conscience mais pas aussi énorme que celle procurée par la lecture de Beauté fatale de Mona Chollet ( qui n'est cité qu'une seule fois !!!).
- les petites filles comprennent très tôt que pour avoir une chance de se marier elles doivent être minces. ( même si ça m’écœure c'est peut être vrai ). Elles doivent occuper le moins de place possible contrairement à votre voisin de métro ou de bus qui écarte allégrement les cuisses en lisant l'équipe ( oui oui je sais ça aussi c'est un cliché mais sachez que l' Equipe est LE quotidien le plus lu en France avec un électorat majoritairement masculin).
- les mamans, les grands-mères et leurs alter egos masculins servent plus de nourriture dans les assiettes des petits garçons que dans celles des petites filles. Je me rends compte que j'ai tendance à moins me servir que mon mec alors que j' ai tout le temps plus faim que lui.
- les femmes qui allaitent le font  plus longtemps pour leur garçons que pour leur filles. Et quand notre paroi utérine se retire sans qu'aucun spermatozoïde ne soit venu féconder un de nos ovules, nos mamans nous donnent de la viande de cheval, des lasagnes et du boudin car nous sommes " carencées"( à croire que Poppeye à défaut d'être féministe était avant-gardiste avec sa boîte en fer d'épinard ).
- Ce sont les femmes qui cuisinent les repas du quotidien mais ce sont les hommes qui détiennent la force agricole. Notons toutefois que la situation s'est améliorée puisque 37 % des salariés agricoles en France en 2016 sont des femmes mais leur surface agricole restent inférieures à celles de leurs homologues masculins.
( je n' avais JAMAIS songé à cela). Les inégalités se retrouvent bien à toutes les fourchettes.
- Un chapitre est également dédié aux cheffes étoilées. Nombreuses sont celles qui déplorent le message véhiculé par les critiques gastronomiques ( rédigées pour la plupart par des hommes) en parlant de la cuisine féminine comme "légère, diététique et  audacieuse" ou encore en parlant d'Anne-Sophie Pic ( 1*) : " on salue la simplicité toute féminine de sa cuisine". No comment car le guide Michelin ( le gros gaillard en forme de pneu ) ou le G&M n'évoquent jamais la cuisine masculine grasse et carnivore ! 
- J' ai beaucoup apprécié le dernier chapitre qui concerne le lien  entre le féminisme et le choix d'une alimentation végé ou carnée. Pendant longtemps, manger des graines était synonyme de """régime de bonne femme"""( je cite). Aujourd'hui, manger de la viande de bonne qualité est considéré comme un privilège, celui de l'homme sur l' animal et celui du riche sur le pauvre. Je ne vois pas pourquoi on irait genrer un choix de régime alimentaire.
Pour résumer, je souligne que ce premier ouvrage de Nora Bouazzouni est fichtrement bien documenté. J'aurais aimé qu'elle ail(le) un peu plus loin dans les liens entre féminisme et végétarisme ou encore entre le diktat de la minceur et la grossophobie qui n'est pas encore assez évoqué à mon goût.

Pour aller plus loin, le délicieux ouvrage de Gabrielle Dardier 
( éditions gouttes d'or ) :  On ne naît pas grosse.

 
 Et votre future bible de chevet si ce n' était pas déjà le cas :











J' allais presque oublier la seconde lecture dont je voulais vous parler.
Le cri de Nicolas Beuglet ( premier roman).
C'est un polar qui débute bien très bien ( trop bien même).
Sarah  Geringën est une  flic torturée  qui vient de se faire quitter après de nombreux essais infructueux pour tomber enceinte. Le soir de sa rupture, elle est invitée à se rendre en urgence dans un hôpital psychiatrique isolé. Un patient y a été retrouvé mort dans des circonstances étranges. Ce patient surnommé " 488", chiffre qu'il portait en cicatrice sur son front. Ce qu'il y a d'étrange à l' arrivée de Sarah c'est que les témoignages des infirmiers ne concordent pas et que l' administration hospitalière  ne sait rien de ce patient. Lorsque le légiste trouve la cause physiologique de la mort du " patient 488", l'enquête débute. 
J' ai été extrêmement déçue même si jusqu' à la page 250 j' ai été vraiment happée par l'intrigue. Puis tout bouscule car l'auteur quitte le thriller psy pour s'aventurer vers le genre d'espionnage scientifique et historique. 

à vous de jugez !