vendredi 16 janvier 2015

Maruyama Ôkyo, nous voici









Aujourd'hui un article très attendu sur la magnifique expo du musée Cernuschi
Le Japon au fil des saisons.  Vous trouverez ici l' article d' une amie qui évoque avec virtuosité un tableau peu connu mais admirable : un kakemono de Mori Sosen.

Pour ma part, j' ai sélectionné quelques œuvres au fil de notre visite. Toutes sont d' une extrême beauté. La muséographie de l' exposition est tout à fait remarquable. la lumière tamisée n' étoffe en rien le regard du visiteur. Les cadres des œuvres, en soie ou cousue d' or,  s' intègrent totalement à l' harmonie d' ensemble de ce beau parcours qui nous est proposé.  Tant par le contenant que par le contenu, amis linguistes saussuriens, admirons ensemble  ces petits bijoux comme  les deux faces d' une pièce de monnaie.  

La première œuvre qui m' a éblouie par son audace et son originalité fut celle de Tani Buncho ( 1763-1840) qui représente le Mont Fuji.
La technique utilisée se prénomme le lavis d' encre. Regardez comme ce lieu magistral est représenté à travers les dilutions d' encre et de pierre fumée frottées à même la toile pour produire cet effet de délavement, un peu angoissant. 

Nous sommes loin des représentations évoquées par les poètes du VIIIème siècle, qui érige le mont Fuji comme montagne sacrée, riches de natures et de pouvoirs ancestraux. Les grandes bandes blanches qui peuvent paraître tremblotantes sont en fait totalement décidées par l' artiste. Entre air, nuage ou neiges vaporeuses, ce sont nos sens en éveil qui décident ce qui fait partie du fond ou de la forme centrale. De la végétation  sombre et abondante, se dégage une impression d' humidité luxuriante. L' eau devient à la fois matière d' absorption, un  tracé et un ressenti corporel. 
Notez la signature calligraphique qui tout en étant reliée à la végétation, se distingue par son sens et de par son contraste avec la couleur rouge
Voici l' indication que l' on peut lire en bas du tableau et qui résume tout à fait l' état d' esprit de Buncho lorsqu' il peint ce tableau.
" Peint au studio de l' Eau et des Nuages, printemps 1802". 
La peinture, sûrement effectuée  à plat pour éviter aux encres de baver, est parfaitement encadrée par ce rouleau vertical ( kakemono) . Une première bande aux motifs symétriques et lumineux est elle  même entourée d' une autre bande dans l' esprit "sépia " à motif floral. Ce cadre permet d' admirer la luminosité de la peinture construite seulement à partir des deux couleurs monochromes principales. Un véritable exploit.





Le courant pictural Rinpa qui traverse la peinture du 17ème siècle  était un mouvement également réaliste, dans un dimension copiste  mais au sens stricte de l' observation accrue et de la justesse précise des détails naturalistes.
Les écailles de poissons, les gouttelettes d' eau suintant des pétales de nénuphars, les vaguelettes blanches peintes grâce à de la réduction de poudre d' huitres en sont quelques exemples. 
Ces modèles harmonieux de la nature  étaient admirablement retranscris dans une peinture plate, sans perspective à proprement parler. Ces œuvres étaient de nature décoratives, sans personnage afin que le visionnage simple pousse au delà de la contemplation à une véritable méditation

 On imagine le temps passé à l' observation, telles les planches d' herbiers savamment conservées au fil des ans. Chaque rainure, chaque tige, chaque plume est reproduites. La perfection est si intense, qu' on a beaucoup de mal à détacher notre regard de tous les petites rondeurs. Le visiteur se sent totalement absorbé par cette nature harmonieuse et apaisante. La sagesse du temps qui passe,inexorablement au fil des saisons ne pourrait  être mieux dépeinte.

Détail. Nakabyaschi Chikuto (1776-1853): Fleurs et oiseaux des quatre saisons : le printemps


Dans le tableau présenté ci-dessous, la technique est différente. C'est la couleur blanche ( en réalité celle du fond ) qui devient le motif plein. Quel paradoxe incroyable : le vide devient matière. Là encore, de grands coups de pinceau à l' encre brute parviennent à ériger quelques pousses de bambou. Je vous assure que le froid se fait sentir rien qu' en regardant trembler les petits oiseaux. On retrouve ici la technique de Buncho dans laquelle l' effet fumée de l' encre se dissolve dans des nuances décolorées car délavées. 


Détail. Nakabyaschi Chikuto (1776-1853): Fleurs et oiseaux des quatre saisons: l’hiver.gende

 A chaque saison sa technique et c' est loin d' être terminé.


Voici un tableau  traditionnel dans le choix du sujet. On y retrouve les ingrédients  des grandes estampes japonaises traditionnelles : les pivoines bien évidemment, érigées au même titre que les fleurs de cerisier ou les tiges de bambou comme constitutives de la nature du continent
L' artiste Ôkyo est considéré comme le fondateur du mouvement réaliste au Japon, reconnu comme mouvement artistique officielle de l' école officielle Kano. Les couleurs sont étincelantes et chatoyantes malgré leur âge. L' escalade de plumes qui enrobent les pierres et les fleurs sont le symbole d' une nature protégée et respectée par dessus tout.  
Si l' on s' approche bien, on voit même de petits motifs de lapins sur les bords latéraux de l' œuvre contre un envol de cigognes d' or  sur fond noir. 
Tout s' équilibre.
Maruyama Okyo (1733-1795), Paon et pivoines. Rouleau vertical (kakemono), encre et couleurs, lavis d’or sur soie, 135 x 70,6 cm. Daté de 1768.



Une autre merveille dans un genre plus épuré et moins chargé, l' œuvre de  Sakai Hoitsu.
L' arbre à kakis représenté prouve que le tableau a été peint au mois d' Octobre. 
Une finesse aérienne se dégage du tableau. Ces fruits si ronds, chargés de luminosités sont sûrement un rappel aux lampions traditionnels. Le tracé du pinceau glisse sans hésitation, on a du mal à croire que la technique numérique n' y soit pour rien . Cette œuvre se situe  au carrefour de toutes les techniques vues jusque là. Le lavis d' encre dans l' unique feuille ou à la racine de la branche est bien présent et se distingue par sa couleur bleuâtre. Ici encore vous ne verrez aucun tracé, ni cercle qui délimitent  une branche ou les corps des petits oiseaux. Le blanc devient la forme ronde et duveteuse de ces petits moineaux.
Trois mejiro sur un arbre à kakis, Sakai Hoitsu
Voici la traduction de l' inscription  écrite par Kameda Ryorai, lettré confucianiste.
" Le vent du soir souffle, apportant la pluie jusqu' à mon ermitage sylvestre
Les feuilles du kaki, soulevées par le vent, tournoient et rougissent; 
dessus je trace un poème
la Xiao et la Xiang ( s' écoulent ) à l' infini, ( emportant ) mon esprit
vers les fleuves et les océans
Un vase à vin et une perche se font face, ( ils me ravissent)
Ryorai Shi le pêcheur "


Comme toutes les bonnes choses ont une fin, on s' en est mis plein les mirettes. L' exposition est désormais terminée.
Merci à celles qui m' y ont entraîné; elles se reconnaîtrons
Nous  en sommes sorties  à la fois grandies et remplies d'humilité , émues et conscientes de notre petitesse dans l' univers.

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