samedi 1 août 2015

Les femmes peintes ou dépeintes par Pierre Bonnard.



Je ne savais absolument rien, rien de rien de Pierre Bonnard si ce n' est qu' il a succédé à l' Impressionnisme sans forcément en faire partie ni en y étant directement associé.
Pour preuve, on pense immédiatement à Monet, Van Gogh , Gauguin mais jamais à Bonnard.



Contrairement à ce que j' ai pu lire sur les œuvres de Bonnard qui se voudraient résolument optimistes car flamboyantes pour la plupart, je considère qu' un grand nombre poussent plus à la réflexion qu' à l' admiration purement décorative. 

C'est ma vision un peu plus sombre et singulière sur certaines de ses œuvres que j' ai envie de partager avec vous.

 L' exposition qui avait lieu dans la salle d' exposition temporaire du musée d' Orsay se nomme Pierre Bonnard : peindre l' Arcadie.
Voici donc cette magnifique affiche : 
ce tableau fait partie de la section Histoire d' eau


On y découvre avec subtilité ce magnifique corps de femme, relevant son chignon d' un geste sensuel, empli pourtant d' une banalité déconcertante. Bonnard éveille tous nos sens. Plissons les yeux face à la luminosité du panneau fleuri du premier plan. Cette lumière quasi magique pourrait-elle vraiment émaner d' un mur ? 
 Sentez sous vos pieds nus, le feutre de la moquette ou du tapis fleuri de roses pivoines, pleines, rondes et charnues, en réponse aux hanches, aux bras et à la poitrine du sujet.
Les couleurs sont plus qu' éclatantes : elles luisent, elles brillent, elles vibrent. Elles donnent du relief; c' est  digne d'une photographie. Ce n 'est donc pas pour rien que Bonnard commence  à pratiquer cet art au milieu de sa carrière. 
Mais le côté pas feutré sur cette moquette, implique un côté voyeuriste de l' artiste qui me dérange. Le modèle se pense seule dans ce moment d' intimité

Bonnard met en avant dans ses peintures le corps de la femme. Elle est souvent au cœur et au centre de ses tableau. Mon premier coup de cœur féminin va pour ce tableau, qui est en réalité une détrempe sur molleton. 

Le peignoir ( détail), 1890
A la manière de Klimt, le corps de cette femme épouse parfaitement le cadre structurel qui l' entoure. 
On peut se poser la question de la domination. Le cadre épouse les formes du corps ou est-ce bien l' inverse ? Les motifs de ce peignoir sont répétés de façon très intense, comme imprimés par sérigraphie sur de la soie. Une  limite incertaine est  créée par la superposition  de ces  motifs avec le fond du tableau, moins lumineux, dans des tons plus verdâtres qui contrastent avec l' ocre et le marron de la chevelure.
Un autre détail me questionne, celui de la perspective. Comment le sujet est peint ?  Le sujet est ( dé)peint de dos. Les contours de la silhouette sont  invisibles, les courbes sont entourées d' étoffes. On ne voit nullement le cou du sujet, comme si le visage cherchait à se cacher de lui même. On peut imaginer que Bonnard peint un reflet, comme s' il avait besoin d' un miroir pour créer sa propre réalité. Où est la bouche, où est le nez ? Bonnard a fait de sa femme Marthe l' un des principaux sujets de nus de ses peintures.
 Marthe arrive-t-elle à respirer sous ses habites de lumière ? Où est son corps tant admiré et dépeint ? La force de ce tableau c'est qu' en tant que femme , j' ai eu envie de déchirer la toile pour libérer Marthe de son carcan et de découvrir la beauté de son corps.



Un autre tableau m' a énormément marqué car il dépeint une de mes activité préférée dans la vie :  La sieste ! Admirez plutôt cette oeuvre légendée de son titre optimiste qui ne l' est pourtant pas selon moi : 

Femme assoupie sur un lit, dit aussi l' Indolente 1899



 Des similitudes qui ne trompent pas avec les deux autres représentations évoquées plus haut : 
- la photographie de l' intime
- le flou des contours autour du visage et du regard
- une intimité mise à nue, complètement découverte

En m' approchant du tableau, un profond malaise m' envahit. Loin de la sérénité habituelle que me procure la sieste et ses endormissements, je ressens comme un enfoncement de ce corps dans le sommier en bois du lit. Marthe prend-elle racine ? Les couleurs toujours sombres et verdâtres sont éloignées du flamboyant de Bonnard . Le corps semble totalement couler, sombrer dans le sommeil ou la dépression. Le drap blanc se confond avec des volutes de fumée de cigarettes que l' on espère éteintes. Sans pouvoir expliquer pourquoi, ce corps de femme me touche au plus profond de ma sensibilité. A quoi rêve-telle ? est-elle heureuse ? Et surtout, s' imagine t-elle que des milliers de spectateurs vont pouvoir décortiquer son anatomie, alors qu' elle même dort .... Là encore, respect de mon corps et droit de veto sur qui le regarde. 

Bonnard fut un homme indécis dans ses choix de cœur . Il fait ce choix admirable ( au sens premier du terme ) de représenter sa femme Marthe et sa maîtresse Renée Monchaty dans un même tableau. en 1925 pourtant, Bonnard épouse ( enfin) Marthe, ce qui poussa Renée au suicide. Bonnard retravailla ce tableau après la mort de sa maîtresse, tableau qu' il avait débuté avant son mariage.

Jeunes femmes au Jardin
C' est Renée qui est au centre du tableau. Ce n' est qu' après un examen attentif que l' on remarque la coupe au carré stricte de Marthe.
Pourquoi représenter sa femme et sa maîtresse ? Est ce que Bonnard exprime un mea culpa ? un regret ? ou est-ce un subtil clin d' œil au dos de la chaise de Renée qui signifie la roue tourne ...... Peut-être que certains y verront du courage, de l' intégrité et de l' honnêteté. Pour ma part, je vois surtout un homme qui n' arrive pas à se décider au détriment d' un cœur qui bat. J' y vois plutôt de la culpabilité.
Une dernière série de peintures va accentuer ce sentiment, celui des baignoires et des corps nus qui flottent. 
Là aussi les corps sont encadrés et engoncés dans des baignoires, la raideur des corps est quasi cadavérique. Je vous laisse admirer
Le bain, 1925
Nu dans le bain, 1925

 Dans ce dernier tableau, il est particulièrement intéressant de supposer que Bonnard est au second plan. On retrouve toujours les attributs précédents mais l' homme au peignoir n' essaie-il pas de se faire pardonner ? 

Nu dans la baignoire, 1925


Même si j' ai choisi des tableaux qui posent des questions existentielles sur l' amour, la pérennité du couple et l' intimité dévoilée, Bonnard est aussi  un génie de la figuration des couleurs. Sa sensibilité accrue le pousse à observer minutieusement son sujet jusqu' à l' obsession. Rien n' est laissé au hasard. Mon ami B m' a dit de Bonnard " avec ses couleurs, on se dit aujourd'hui ce mec pourrait être graphiste. Il l' est en fait mais avec ses yeux et ses pinceaux".



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